Contexte historique de l’art et de la vie de zanabazar

Ariunaa Jargalsaikhan
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Partie 2/3

Oundor Guéguén Zanabazar est l’une des figures les plus influentes de l’histoire du bouddhisme en Mongolie. Il a été le premier Bogd Guéguén, – chef d’état et de l’église lamaïque mongol du 17ème siècle. Pendant longtemps, Zanabazar a été blâmé pour la soumission de la Mongolie à l’empire mandchourien. Cependant, en tant que chef intellectuel, il est réputé pour avoir marqué l’entrée de la nation dans une renaissance culturelle. Un examen plus approfondi du contexte historique du Bouddhisme en Mongolie et de la vie d’Oundor Guéguén Zanabazar pourrait aider à comprendre pourquoi l’œuvre de Zanabazar constitue une partie intégrante de l’histoire de l’art mongol.

Pendant la période Yuan (1271–1368), le libre-échange et un vaste échange culturel influença la fusion des styles artistiques dans toute l’Asie. L’esthétique nomade de l’Asie centrale se manifesta dans l’art sacral d’Asie.1 Dans les années 1260, Khubilai Khaan avait choisi de consolider son pouvoir sur l’état mongol par l’adoption d’une religion organisée.2 Le Bouddhisme tibétain s’acclimata à ces racines chamaniques à partir du 8ème siècle. Le bouddhisme tibétain eut un intérêt intellectuel et culturel particulièrement puissant pour l’empereur mongol qui devint, lui-même, un bouddhiste tibétain. Les échanges culturels abondants activèrent le talent et la maîtrise des artistes népalais et palis et devinrent influent dans la pratique de l’art bouddhique pendant cette période.3

Après la chute de la dynastie de Yuan, les princes mongols des khanats (royaumes) divers continuèrent de maintenir l’alliance spirituelle avec le Tibet.4 En 1578, le descendant de la 17ème génération de Chinggis Khaan, Altan Khan de la nation des Tumeds mongols conféra un titre révérencieux sur le troisième chef de l’école de Gelug du Bouddhisme tibétain.5 Son nom était Sodnomjamts, ou Sonam Gyatso en tibétain – Gyatso signifiant “océan.” Il fut donc nommé “Dalai Lama,” par lequel la lignée fut reconnue plus tard à travers le monde et dont le titre fut appliqué aux deux premières incarnations rétrospectivement.6 De telles attributions de titres révérencieux sur des figures importantes étaient l’un des gestes amicaux qui furent, pendant longtemps, une stratégie traditionnelle pour maintenir l’alliance politique et culturelle entre le Tibet et la Mongolie.

Voyant les effets formidables du Bouddhisme sur le développement spirituel et intellectuel du peuple d’Altan Khan, son lointain parent Abtai Sain Khaan des Khalkhas mongols alla voir en 1585 le troisième Dalai Lama.7 Un an plus tard, sur les fondations de la première capitale de l’Empire mongol, Abtai Sain Khaan inaugura Erdene Zuu, un monastère bouddhique avec 62 temples et 500 bâtiments environ pour approximativement 300 moines.8 Il devint un centre religieux pour le peuple Khalkhas mongols.

La conversion des Mongols au Bouddhisme tibétain apporta des avantages considérables aux classes dirigeantes, les aidant à maintenir l’ordre social et la hiérarchie par le biais de la supervision morale, la médecine, et l’éducation. Cependant, la formation en masse d’une nouvelle strate des moines mongols avait été un changement trop radical pour l’esprit guerrier des descendants de Chinggis Khaan. A la suite de l’Empire mandchourien (1644–1912), cette persistante crise d’identité culturelle deviendra l’une des causes profondes de la soumission de la Mongolie à la dynastie Qing.

En 1635, l’arrière-petit-fils d’Abtai Sain Khaan, Ishdorj naquit à environ 80 kilomètres au sud-est d’Erdene Zuu.9 Enfant doué, il aimait lire et réciter par cœur des prières en tibétain. Il aimait aussi à jouer en construisant des temples avec des pierres et faisait semblant de diriger des enseignements religieux. En 1639, à la convocation des nobles de Khalkhas, ce garçon de quatre ans fut proclamé Oundor Guéguén (Haut Saint) et initié au premier ordre de moine par le Lama Jambal Bilig Nomun-khan. Depuis ce jour-là, il s’appela Zanabazar, ou Jnanavajra en sanscrit, ce qui signifie “celui qui tient le sceptre du coup de tonnerre de la sagesse.”10

Quand Zanabazar eut quinze ans, il se rendit à Lhassa pour poursuivre ses études en Bouddhisme. À Lhassa, le cinquième Dalai Lama le reconnut comme réincarnation de Taranatha Gunga Ningbo (1575–1634), un célèbre érudit tibétain.11 Ainsi Zanabazar devint le premier Mongol, et le 16ème dans la lignée des Vénérables et Excellents lamas incarnés, intitulés le Javzan Damba Khutagt. Ce fait marqua un événement historique majeur pour les sept nations Khalkha et, les Mongols célébrèrent l’inauguration de leur premier Bogd Guéguén, chef d’état et de l’église lamaïque dans une festivité glorieuse de Danshig Naadam.

Lorsqu’à l’âge de dix-neuf ans, Zanabazar eut terminé ses études, il rentra accompagné d’une belle suite de quarante artistes experts et lamas savants du Tibet. Ayant reçu le pouvoir de religion et de gouvernement, le premier Bogd Guéguén consacra sa vie à la paix et à l’éveil spirituel de son peuple. Avec ses disciples, il travailla sans relâche à fonder des monastères, construire des temples, créer de l’art sacré et un nouvel alphabet (Soyombo Useg), traduire et écrire des textes sacrés.12 Malgré la tension et la rivalité des khanats voisins, Zanabazar chercha à fortifier les relations diplomatiques avec le Tibet, la Mandchourie et la Russie.

L’investissement d’Oundor Guéguén au souple pouvoir fit de lui un chef bien aimé par un peuple épuisé par les agressions soudaines et répétitives de princes guerriers pendant des années. Néanmoins, même si la vision d’illumination et de paix de Zanabazar apportait des valeurs intangibles aux Mongols, cette passivité apparente ne convenait pas aux chefs-guerriers qui visaient à restaurer la suprématie mongole du passé.

L’un d’entre eux était Chakhundorj, le frère aîné de Zanabazar. Il voulait réaliser la mission d’Abtai Sain Khaan en assimilant la nation d’Oirad mongol à son état. En 1688, Chakhundorj et son fils unique furent tués dans une bataille contre l’armée des Oirads.13 Le commandant des Oirads mongols résolut avec férocité de faire la même chose. Son nom était Galdan Boshgot. Dans sa jeunesse, il avait étudié le Bouddhisme sous la tutelle du cinquième Dalai Lama, aux côtés de Zanabazar. Cependant, Galdan Boshgot avait des raisons légitimes14 de considérer l’alliance des Khalkhas avec les Mandchous comme une trahison impardonnable du code moral d’autonomie mongole.

En avançant vers l’est, l’armée de Galdan Boshgot détruisit Erdene Zuu en dévastant de nombreux autres monastères sur le chemin. Zanabazar et son peuple furent forcés de fuir de leur terre natale et de chercher la protection d’Enkh-Amgalan, l’empereur mandchourien. Après trente-cinq années d’exil, Oundor Guéguén Zanabazar décéda en 1723 à Pékin à l’âge de 88 ans. En ce qui concerne Galdan Boshgot, pendant sa troisième guerre en 1696, les Mandchous déployèrent une armée de 200.000 soldats contre les 30.000 militants et la reine-guerrière aimée de Galdan Boshgot.15 Après sa mort, les Mongols Oirads résistèrent héroïquement pendant plus de soixante années jusqu’en 1759, quand l’Empire mandchourien eut enfin absorbé la Mongolie.

Zanabazar était un érudit talentueux et un chef influent. Envisageant la Mongolie comme le centre de la culture bouddhique du nord, il promouvait la paix et l’illumination pendant une époque d’extrême instabilité politique en Asie centrale. Aujourd’hui, les chefs-d’œuvre de Zanabazar demeurent une démonstration de la valeur de ses efforts. Partie indispensable de l’art et de l’histoire bouddhiste, ils représentent un sommet des traditions, styles et techniques artistiques divers qui se sont affinés depuis la dynastie Yuan et concentrés dans une union extraordinaire de talents et de maîtrises. En exprimant les qualités humaines et divines du Bouddha dans une harmonie exquise par ses sculptures, Zanabazar a révolutionné les pratiques et idéologies anciennes de la culture mongole nomade du 17ème siècle. Pendant plus de deux siècles après sa mort, les œuvres de Zanabazar inspirèrent des artistes à créer des œuvres ressemblant à ses chefs-d’œuvre. Son héritage continue avec les artistes de l’École de Zanabazar encore aujourd’hui.

Références

  1. Syrtypova, S.-K. D. Zanabazar’s Style of Buddhist Art (Using Examples from the Collection of A. Altangerel). Ulaanbaatar: Admon Print, 2019. Pg. 13.
  2. Baabar, B. Монголчууд: Нүүдэл Суудал. Vol. 1. Ulaanbaatar: Admon, 2006. Pg. 123.
  3. Syrtypova, S.-K. D. Zanabazar’s Style of Buddhist Art (Using Examples from the Collection of A. Altangerel). Ulaanbaatar: Admon Print, 2019. Pg. 13.
  4. Kuzmin, S. L. “The Tibeto-Mongolian Civilization.” The Tibet Journal, vol. 37, no. 3, 2012, pp. 35–46. www.jstor.org/stable/tibetjournal.37.3.35. Accédé le 9 avril 2021. Pg. 37.
  5. Tserendorj, Ts. “Алтан Хаан.” Монголын түүхийн тайлбар толь. https://mongoltoli.mn/history/. Accédé le 11 avril 2021.
  6. Richardson, H. E. Tibet and Its History (2nd ed., rev. and updated. ed.). Boston: Shambhala, 1984. Pg. 40., comme référencé en wikipedia.org/Dalai_Lama.
  7. Tsolmon, S. “Абтай Сайн Хаан.” Монголын түүхийн тайлбар толь. https://mongoltoli.mn/history/. Accédé le 11 avril 2021.
  8. Chuluun, S. et Maralmaa, N. “Эрдэнэ Зуу.” Монголын түүхийн тайлбар толь. https://mongoltoli.mn/history/. Accédé le11 avril 2021.
  9. Chuluun, S. “Занабазар.” Монголын түүхийн тайлбар толь. https://mongoltoli.mn/history/. Accédé le 11 avril 2021.
  10. Syrtypova, S.-K. D. Zanabazar’s Style of Buddhist Art (Using Examples from the Collection of A. Altangerel). Ulaanbaatar: Admon Print, 2019. Pg. 325.
  11. Kuzmin, S. L. “The Tibeto-Mongolian Civilization.” The Tibet Journal, vol. 37, no. 3, 2012, pp. 35–46. www.jstor.org/stable/tibetjournal.37.3.35. Accédé le 9 avril 2021. Pg. 37.
  12. Ibid.
  13. Le caractère et la qualité des relations entre Zanabazar, sa famille et son peuple sont effectivement relatées avec nuance dans le roman biographique de Erdene, S. Занабазар (3rd ed.). Ulaanbaatar: Admon, 2012.
  14. En août 1640, les chefs des états de Khalkha et d’Oirad signèrent le “Code des lois des Quarante et Quatre.” Les parties, en présence, acceptaient de se soutenir l’une l’autre pour ne pas céder aux assauts étrangers contraires à l’autonomie des états mongols. Cependant, ni les Khalkhas ni les Oirads ne se firent tout à fait confiance les uns les autres pour honorer ce Code. Ce fut une faiblesse des khanats mongols que les états étrangers exploitèrent. L’histoire des relations entre les états Oirads et Khalkhas reste un sujet de débat entre les historiens encore aujourd’hui. L’histoire de la nation des Oirads est analysée en détail par Dalai Ch. dans Ойрад Монголын Түүх. Ulaanbaatar : 2002. Comme référencé par Tsogt, N. entretien personnel. Le 04 avril 2021.
  15. Dalai Ch. Ойрад Монголын Түүх. Ulaanbaatar: 2002. Comme référencé par Tsogt, N. entretien personnel. Le 04 avril 2021.
  16. Yelikhina, Yu. I. Сокровища Монгольской Буддийской Религии в Эрмитаже. Ulaanbaatar–St. Petersburg: Международная ассоциация монголоведения, 2020.
  17. Commission nationale mongole pour l’UNESCO. In Commemoration of the 360th Anniversary of Undur Geghen Zanabazar, the First Bogdo Zhivzundamba Hutugtu, the Mongolian Great Enlightener, Outstanding Spiritual Leader and Statesman. Ulaanbaatar, 1995.
  18. Baasanjav, Z., Batbayar D., et Boldbaatar, Z. Монгол Улсын Түүх. Ulaanbaatar: МУИС, 1999.

Publié le 10 mai 2021 par UB Post
Auteure du texte et de la traduction Ariunaa Jargalsaikhan
Avec remerciements au Dr. Maylis Léon-Dufour pour ses précieux conseils et sa rédaction
Ulaanbaatar

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