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« Si j’ai vu plus loin que les autres,
c’est que je me suis juché sur les épaules de géants. »
– Sir Isaac Newton, 1675
Il y a un mythe mongol qui explique pourquoi la souris en est venue à symboliser le premier signe du zodiaque oriental. Jadis, une grande compétition eut lieu parmi les animaux. Les premiers à voir le lever du soleil devaient gagner un titre prestigieux dans le Zodiaque. La petite souris voulut aussi participer. Mais ses concurrents étaient grands et forts et elle n’avait aucun moyen de gagner la compétition sans aide. Alors elle demanda l’aide du chameau géant. Le chameau au grand cœur eut pitié de la petite souris et la laissa monter sur sa bosse. Ensemble, ils passèrent patiemment la nuit, attendant que le soleil se lève. Peu à peu, l’aube apporta un nouveau jour et avec lui, une lumière dorée scintillante qui commença progressivement à ourler l’horizon. La petite souris rapide se dressa sur ses pattes arrière, et perchée sur la bosse du chameau, elle vit les rayons du soleil levant la première. C’est ainsi que, grâce à la générosité du noble chameau, la souris en est venue à symboliser le premier signe du zodiaque.
De nombreuses cultures anciennes à travers le monde ont inventé des systèmes pour organiser les jours, les cycles et les rythmes de la nature. La plupart d’entre eux ont leurs propres mythes et traditions liés aux horaires de leurs propres organisateurs du temps. Certains pays célèbrent la nouvelle année selon le calendrier solaire (aujourd’hui principalement le calendrier grégorien). D’autres pays, dont beaucoup se trouvent en Asie et au Moyen-Orient, célèbrent la nouvelle année selon le calendrier lunaire. D’autres encore accueillent les célébrations selon les deux calendriers.
Les origines et l’événement
A propos de l’origine du calendrier traditionnel mongol, les experts ont des avis divergents. Après un bref examen, le calendrier lunaire tibétain semble être la source la plus proche. Mais déterminer exactement quand, comment ou si le calendrier lunaire actuel a été adopté, et quel système était utilisé avant son adoption, reste un sujet de débat animé parmi les historiens, les astronomes et les chefs religieux. Néanmoins, le vendredi 12 février 2021 sera le début de la 35ème année du 17ème cycle sexagénaire en Mongolie. Et les Mongols auraient dû célébrer ce nouvel an du Bœuf pendant la fête nationale qui s’appelle le “Tsagaan Sar” ou la Lune Blanche.
Dû à la pandémie mondiale, les célébrations officielles sont réservées aux cercles restreints et privés depuis l’année dernière. Cette limitation est particulièrement dure pour les personnes âgées qui habitent loin de leurs enfants; en effet, c’est la seule fête où les membres des familles se rassemblent venant de près comme de loin pour leur présenter leurs vœux. Au contraire, ceux d’entre nous qui font partie de la catégorie « jeunes » pourraient admettre, avec un peu de réticence, que les restrictions apportent un certain soulagement. La pléthore de règles et de convenances élaborées, le chaos des préparations et les danses complexes avec les divers membres de la famille autour des enjeux en des phases variées de la vie, tout cela peut quelquefois avoir tendance à générer du stress plutôt que de l’élan.
Réflexion sur le sens
Qu’elles soient avantageuses ou défavorables, les contraintes actuelles de la quarantaine en Mongolie autour des célébrations des fêtes nationales présentent une occasion de réfléchir sur le sens de Tsagaan Sar. Une unique lithographie faisant partie de la collection permanente de la Galerie nationale d’art moderne de Mongolie à Ulaanbaatar titrée, « La Fête Nationale de Tsagaan Sar » (1977) par Ts. Dagvanyam pourrait nous y aider.
Dans une scène mouvementée, l’artiste présente le matin de Tsagaan Sar dans une coopérative à la campagne. Les couleurs brune, blanche et rouge prédominent sur l’image. Elles amplifient le tohu-bohu du matin des gardiens de troupeaux qui diligemment mettent en pâture leurs veaux et leurs moutons pour la journée. Modes variés de transport : chevaux, charrettes à yak, chameaux, tracteur, ainsi qu’une moto émergent des bords de la composition. Sur le côté droit, on voit un yak fougueux attelé à une charrette transportant un gros bidon métallique et un fût en bois; il relève impatiemment sa queue pelucheuse et courte en baissant sa tête et ses cornes spectaculaires. Derrière lui, un enfant traînant son nouvel avion-jouet et agitant une baguette ornée d’une étoile saute joyeusement vers sa mère qui viens de préparer des buuz traditionnels (plat mongol ressemblant à des boulettes de pâte cuites à la vapeur) et est en train de les ranger sur le toit de son ger (maison mongole) pour les faire congeler. Au centre de l’image, deux familles voisines s’embrassent dans une salutation traditionnelle de Tsagaan Sar (Zolgokh Yos). A gauche de la composition au premier plan, un hôte arrive; il porte son nouveau deel (vêtement mongol) rouge et on le voit attachant son meilleur cheval au poteau avant de rejoindre les autres…
Appeler cette image « La Fête Nationale de Tsagaan Sar » aurait été une initiative risquée en 1977. En effet jusqu’en 1988, la célébration au niveau national de Tsagaan Sar comme fête officielle a été interdite. En 1932, le gouvernement avait proclamé Tsagaan Sar un rituel « féodal » perpétué par des chefs religieux qui désiraient à continuer « l’asservissement » de masse. Le 26 janvier 1952, quand le chef d’état de Mongolie, Marshall Kh. Choibalsan est décédé, Tsagaan Sar est devenu une journée nationale de deuil. Puis en 1960, la proclamation de la fête officielle des coopératives de gardiens de troupeaux dans le pays a commencé à permettre aux seuls habitants des campagnes de célébrer Tsagaan Sar alors que cette célébration était interdite aux habitants d’Ulaanbaatar. Depuis la révolution démocratique des années 1990, Tsagaan Sar est devenu de nouveau une fête nationale et est célébré dans tout le pays. Aujourd’hui, à la veille de Tsagaan Sar (Bituun), la nation peut regarder la transmission des vœux officiels du président à la télévision.
Bituun et un nouveau départ
D’une certaine manière, Bituun est une fête d’adieu à l’ancienne année. Ainsi, dans la mesure du possible, les Mongols s’efforcent d’achever, de régler, d’emballer et de nettoyer les anciens projets, les propriétés, les réparations, les transactions, les litiges, les dettes, etc. Même fermer les rideaux de la maison pourrait faire l’affaire. Les repas traditionnels comme les buuz (cuits à la vapeur) et les boulettes de pâte (bouillies dans de l’eau ou du thé au lait mongol) symbolisent l’achèvement réussi de l’année. Et, pour porter chance à tous, on ne permet à aucun invité de partir insatisfait ou le ventre vide. Les enfants jouent à des jeux traditionnels qui représentent la fin d’une bonne année et on considère que les gagnants seront particulièrement chanceux pendant la nouvelle année. Beaucoup de familles placent des glaçons au-dessus de leurs portes sur leurs gers pour abreuver le cheval de Baldanlkham, la déesse de la chance, quand elle bénit tout le monde en passant rapidement dans le ciel au moment où commence le nouvel an.
Au Shiniin Negen (premier jour de la Nouvelle Année) se lever avec le soleil et faire une promenade rafraîchissante dans la direction qui correspond le mieux à son signe zodiacal personnel (pour les détails, les Mongols consultent au préalable les astrologues bouddhistes ou le calendrier) est un rituel qui augmente les chances de réussite tout au long de l’année. Après ce rituel, c’est le moment pour tout le monde de mettre son plus beau deel et de sortir pour se saluer (zolgokh) les uns les autres, en commençant par le membre le plus âgé de la famille. Avec les meilleurs vœux pour le Nouvel An, les gens donnent et reçoivent des cadeaux symboliques d’appréciation et de respect. La couleur blanche est associée à la paix, la bienveillance et le nouveau commencement en Mongolie. Pour cette raison, le repas du Nouvel An commence et finit par du riz sucré avec des raisins secs ou des casse-croûtes (snacks) laitiers traditionnels (Tsagaan Idee).
Objectif et origine plus profonde
L’objectif pratique de Tsagaan Sar est de rencontrer et de connaître les nouveaux et anciens membres de sa famille. Mais surtout, c’est une tradition héritée de la culture nomade mongole. Elle joue un rôle important dans la transmission de l’histoire aux générations futures. Il y a longtemps, les Mongols célébraient le nouvel an lunaire en automne quand les troupeaux étaient nombreux et les récoltes, abondantes. Puis, au printemps de 1206, après avoir réussi à unir les tribus disparates de la steppe d’Asie centrale, Temuujin a reçu le titre de Chinggis Khaan au conseil des chefs tribaux. Il est devenu le chef d’une nouvelle nation de Mongols. La naissance de cette nation a coïncidé avec le premier jour du printemps du mois du Tigre à l’année du Tigre. Selon les shamans, c’était un signe de bon augure. Chinggis Khaan est connu pour avoir, ce jour-là, promulgué une amnistie générale à tous les condamnés, pour donner une chance à chacun d’entamer un nouveau chapitre de son histoire à partir d’une page blanche. Chinggis Khaan a également rendu hommage aux membres les plus âgés de sa nation en leur envoyant de généreux cadeaux. Ainsi, il reconnaissait la contribution et le sacrifice inestimables de ceux qui l’avaient précédé.
Les Récits des voyageurs
Dans le récit de Guillaume de Rubrouck, Claude et René Kappler ont noté qu’en 1254, le Nouvel An a eu lieu le 21 janvier. Et dans les voyages de Marco Polo, il y a une description de la célébration de Tsagaan Sar par le petit-fils de Chinggis Khaan, Khubilai Khaan qui a continué la tradition commencée par ses ancêtres.
Quel système a été exactement utilisé pour organiser le temps et les dates avant le calendrier lunaire actuel en Mongolie reste à être discuté. Mais aujourd’hui, la célébration du Nouvel An lunaire en Mongolie continue à symboliser, en plus de la naissance de la nation mongole, l’union aimable des familles, le pardon d’anciens torts, et la gratitude envers ceux qui nous ont un jour offert leur épaule pour s’y appuyer.
Que la nouvelle année du tenace Bœuf Blanc soit pour vous une année pleine de succès !
Sources:
1) Burmaa, Ch. and Enkhjargal, D. Монгол Түмний Баяр Цагаан Сар. Ulaanbaatar: Empathy, 2017.
2) Choimaa, Sh. Монгол Ёс Заншил, Уламжлалт Ухаанаа Заан Сургагч Нарт Тус Дэм. Ulaanbaatar: Soyombo Press, 2015.
3) Kappler, Claude-Claire et René. Guillaume de Rubrouck, Envoyé de Saint Louis: Voyage dans l’Empire mongol (1253-1255). Paris: Payot, 1985. (Chp. 35)
4) Mongolian National Modern Art Gallery. Selected Works from MNMAG’s Collections. China: ICECE, 2008.
5) Rinchen, B. “Цагаан Сар.” Бямбын Ренчин, Vol. 5. Ulaanbaatar : Nepko Publishing, 2018.
6) Rustichello of Pisa. The Travels of Marco Polo, Vol. 1. Scotland: Yule-Cordier, 1902. (Livre 2, Chp. 14)
7) Turmunkh, G. “Цагаан сарыг тэмдэглэхэд учир бий.” Tsahim-toli, le 04 février 2016, http://www.tsahim-toli.mn/index.php?option=com_content&view=article&id=1601:tsagaan-sariig-temdeglehed-uchir-bii&catid=42:soyol&Itemid=401.
8) Tibet House Us. “Tibetan Calendar.” accédé le 25 janvier 2021. https://tibethouse.us/tibetan-calendar/.
Publié le 8 février 2021 par UB Post
Auteure du texte et de la traduction Ariunaa Jargalsaikhan
Avec remerciements au Dr. Maylis Léon-Dufour pour ses précieux conseils et sa rédaction
Ulaanbaatar